Moso
. Voir l'amour et le désir autrement... ?
J'ai dit à mon cœur,
Alfred de Musset.
L'amour et le désir sont des thèmes récurrents..
Ils enflamment nos vies et nos fictions car ils sont à la base des relations entre les êtres.
L'amour peut prendre différentes formes : amicales, familiales, amoureuses, passionnelles.
Mais quand on entend ce mot on pense généralement à une chose : un second être qui partagera notre vie et nos projets jusqu'à ce que mort s'en suive dans le meilleur des cas.
« Pour toujours »
« Avez-vous trouver l'amour ? »
« Avez vous quelqu'un dans votre vie ? »
« Avec qui partager vous votre vie ? »
Il y a toujours cette notion de fusion, de partage, d'âmes sœurs, de moitié.
La famille c'est un père, une mère, ou deux papas et deux mamans.
L'amour c'est deux êtres qui partagent tout.
Ces codes sont ancrés dans nos sociétés et dans nos esprits, et on peut observer à quelle point il est difficile de les changer dans l'esprit des gens.
Et puis changer ces codes en les remplaçant par quoi ?
Ces équations sont la base de notre vision et il est difficile d'imaginer une autre manière de faire.
Lors d'une recherche sur les différentes possibilités de remettre en cause ces notions d'amour, de désir, je suis tombée sur un peuple qui vit ces choses d'une manière totalement différente.
Les Moso
de Chine
C'est une ethnie vivant dans le Sud-Ouest de la Chine, à la frontière des provinces du Yunnan et du Sichuan, sur les contreforts de l'Himalaya, sur les rives du lac Lugu.
Cette communauté compte un peu plus de 30 000 habitants et existe depuis environ 800 ans.
Première particularités cette société c'est qu'elle a un fonctionnement matriarcale, matrilinéaire, matrilocale et avunculaire.
Dans le cas des Moso, la femme n'est pas au dessus mais au centre du foyer.
Leur mode de vie s'organise en grande famille où toutes les fratries vivent ensemble sur plusieurs générations.
C'est en découvrant le livre
Adieu au lac mère, d'une Moso ayant quitté son village natale pour réaliser une carrière d'artiste à travers le monde, que mon intérêt pour cette communauté s'est accentué.
« Adieu au lac Mère est le récit d'une enfance extraordinaire dans une société hors du commun. Cette enfance est celle de Yang Erche Namu, célèbre chanteuse et mannequin chinoise, qui vit aujourd'hui entre Pékin, Rome et San Francisco. Namu est née en 1966 chez les Moso, une société matrilinéaire des montagnes de Yunnan, à la frontière sino-tibétaine, à 2700 mètres d'altitude. Les Chinois appellent le pays moso " le pays des filles ", car chez les Moso, les femmes sont chefs de famille. Les Moso ont rejeté le mariage. Les unions sexuelles sont temporaires et les enfants appartiennent d'office à la famille maternelle. La société moso encourage la tolérance, le respect d'autrui et l'aide collective. Adieu au lac Mère relate les seize premières années de la vie de Namu, sa relation douloureuse avec sa mère, ses désirs de voyage et d'évasion, son ambition de voir le monde et l'aboutissement de ses rêves lorsqu'elle réussit un concours de chant et intègre le conservatoire de musique de Shanghai. Le récit de l'apprentissage de Namu est à la fois plein de drame, d'étrangeté et de beauté. A travers les yeux d'une enfant puis d'une adolescente fougueuse, on pénètre dans les alcôves où luisent au coin du feu les visages tannés, on goûte au thé au beurre de yack et on s'enivre de l'air des montagnes. On découvre comment s'y déclinent l'amour entre mère et fille, le conflit entre l'individu et la société. On éprouve les bouleversements sans précédent que sont l'intrusion de la révolution chinoise dans cette société millénaire aussi bien que l'éveil à la liberté d'une jeune fille au destin exceptionnel. Ce livre repose sur la rencontre de Namu avec une anthropologue française, Christine Mathieu, qui est l'une des premières Occidentales à avoir pu étudier les mœurs des Moso. »
Adieu au lac Mère, Yang Erche Namu, Christine Mathieu, Editions Calmann-Lévy, 2005.
Témoignage
Yang Erche Namu raconte :
« Quand je suis arrivé, le professeur m'a demandé mon nom de famille, mon patronyme. Je ne savais pas ce que c'était. Je n'en ai jamais eu.
Ma mère m'a appelée « Erche Namu » et cela signifie « Trésor Princesse ». Je ne connais pas exactement mon âge, j'ai décidé seule d'être née le 25 août 1966.
Je suis née à Zuosuo, un village de 300 habitants sur les contreforts de l'Himalaya à 2 700 mètres d'altitude, au bord du lac Lugu. Mon village est dominé par une montagne sacrée : la montagne de la déesse-mère Gamu.
J'ai été confié à 8 ans à un de mes oncles, qui garde des Yachts dans la Montagne, il faisait très froid.
Nous ne célébrons pas les anniversaires chez moi. Mais à l'age de 13 ans pour les filles,
il y a la cérémonie de la Jupe. Ce n'est pas du tout gênant, ni embarrassant : on m'enlève le vêtement pour voir mon corps, et cela prouve que je suis mûre.
A partir de ce moment là, je suis indépendante.
Ensuite, on m'emmène dans La Chambre des Fleurs, et ma mère m'explique comment bien recevoir des hommes, comment leur parler. Ce sera ma chambre personnelle pour recevoir mes amants.
Je peux commencer dès l'age de 15 ou 16 ans. »
Mais au delà de ces rituels qui diffèrent de toute manière partout à travers le monde, pourquoi les Moso m'ont-ils autant inspiré ?
Il n'y a pas de mariage chez eux, et les amants n'habitent pas ensemble. De même que les enfants qui naissent d'union sont automatiquement élevés dans la famille de la mère.
Chaque individu, homme ou femme est totalement libre d'avoir autant de partenaires qu'il le désire.
Les ruptures n'ayant aucun impact sur l'éducation des enfants, permettent aux unions de se faire et de se défaire sans contraintes.
« Les soirs, des bals populaires appelés Joho sont organisés pour faire des rencontres au son des chants, des tambours et des flûtes. À travers la danse, les jeunes se découvrent et peuvent tomber amoureux.
À cette occasion, les jeunes femmes peuvent choisir un nouvel amoureux parmi les hommes. Ces derniers ne font pas le choix eux-mêmes. Pendant la danse, ils grattent la paume de la main de celle qu’ils convoitent. Si celle-ci laisse sa main, cela signifie qu’elle est consentante pour le recevoir chez elle après le bal…
Si un garçon arrache un objet appartenant à une fille et que celle-ci répond avec un sourire, c’est qu’elle est d’accord pour nouer des relations Azhu. Si elle prend un air sévère et réclame l’objet volé, c’est un refus. »
« Un homme peut passer la nuit avec une femme, mais le matin il doit rentrer chez sa mère avant le lever du soleil.
C’est la tradition du Zohun. Plus l’amant vient de loin, et plus le prestige de la femme est grand.
Personne ne montre en publique les signes de l'affection.
La plupart des relations amoureuses restent secrètes. »
Mais comment formuler des relations multiples sans l'animosité qui en découle généralement ?
C'est souvent le fléau des relations binaires : quand les êtres ne sont plus sur la même fréquence, les personnes souffrent, se déchirent, l'amour se transforme en haine.
Les adultères, les tromperies et les mensonges interviennent bien trop souvent dans des histoires qui semblaient idylliques..
Est-ce le résultat d'une exclusivité « forcée » ?
Dictée depuis toujours, présentée comme naturelle et évidente ?
Comment les Moso peuvent-ils pleinement vivre leurs amours et leurs désirs sans ces contraintes ?
« Chez nous, la jalousie et la possessivité, c’est honteux,
c’est être faible,
on appelle ça boire du vinaigre. »
« La sexualité étant réellement libre, abondante et surtout gratuite, il n’y a ni frustrations, ni prostitution, ni aucune marchandisation du sexe. »
C'est une éducation basée sur ces principes de liberté individuelle, de respect d'autrui et du consentement qui font le succès de ce système.
Je me suis souvent demandé comment ce que je considérais comme être le sentiment ultime (l'amour!) pouvait parfois, en un instant, en une action, se transformer en haine, en vengeance, en jalousie ?
Le mythe qu'on nous rabâche depuis tout petit sur l'amour inconditionnel semblerait, finalement, ne pas être si fructueux que ça. Voire même basé sur des légendes empreintes d'influences religieuses et peut être pas assez fondé sur des vérités biologiques …
La monogamie à l'origine, pour s'extraire de l'animalité ? De la bestialité ?
Cette nouvelle manière de repenser les relations amoureuses et sexuelles m'a suscité des interrogations et des réflexions...
Peut-être car cela fait échos à des situations trop souvent observées, voire vécues : les divorces, les ruptures, les déchirements et les coups bas auxquelles nous sommes trop souvent témoins, victimes ou responsables.
L'union, une instance ?
L'union, une instance ?
D'ailleurs, le peuple Moso subit depuis les années 50 des pressions régulière du gouvernement chinois afin d'imposer son dogme du mariage, déconstruisant peu à peu les cultures et traditions de ces habitants..
Deux sociétés, deux cultures ..
Mais,
Après réflexions, je me suis rendue compte que j'étais moi même dans l'opposition de deux cultures, deux fonctionnements sociétales qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, et pour cela ne peuvent pas être comparés d'une manière aussi binaire que « mieux » ou « mal » !
Ce serait ridicule.
Ces deux systèmes ne s'opposent pas,
ils sont simplement construits sur des principes différents.
Nos sociétés occidentales donnent en effet une plus-value à la réussite amoureuse, à la construction d'un couple d'où découlerait ensuite une famille.
Chez les Moso, ce sont les libertés individuels de la sexualité et des sentiments qui priment, mais toujours dans le même objectif de préserver la famille qui fait bloc au centre.
Dans son ouvrage, Erche Namu revient régulièrement sur la rupture de sa relation avec sa mère, puis celle de son être et de ses envies avec ses pairs... Finalement, ce qui revient toujours peut importe la manière dont un système est construit, c'est qu'on se soumet à des règles. De manière consciente ou inconsciente d'ailleurs ; que ces règles façonnent et rassurent la société, et que c'est un véritable combat, un sacrifice parfois de s'en émanciper, de vivre autrement.
« Maintenant, cette région est devenue une réserve folklorique, visitée et fantasmée par les touristes,
devenue un idéal de minorités pour les occidentaux.
Avant, il fallait marcher dix jours dans un sentier de montagne, à dos de cheval ou de mulet pour arriver à la ville la plus proche : Lijiang, capitale du Sichuan.
Aujourd'hui, une route asphaltée permet de les joindre en deux jours d'autocar ou en une journée de taxi. »
« Si c'était à refaire, je resterais dans mon village natale, j'aurais eu plein d'enfants, et aussi plein de Yacks. »
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